Se déplacer ... autrement
Articles parus dans Libération du mardi 17 avril 2001

Jean-Michel Herry, fondateur du club de villes cyclables :

VELOS-VOITURES : il faut du mélange

Jean-Michel Herry est le directeur adjoint des services techniques de la ville de Lorient. Membre fondateur du Club des villes cyclables, la municipalité a lancé il y a une dizaine d'années une politique d'apaisement de la circulation et de partage de la voirie au profit des modes de déplacements doux (vélo et transports en commun).

Quelle est la philosophie des aménagements cyclables aujourd'hui ?
Le partage de la voirie. Dans les années 70, le schéma n'était pas du tout celui-là. Les techniciens pensaient que, pour faire du vélo en ville, il fallait prévoir des pistes cyclables, des itinéraires spécifiques. Mais ça a été un échec. Une ville ne peut pas faire un réseau de voirie pour les voitures, un autre pour les vélos, un troisième pour les piétons. C'est inimaginable. Les trottoirs partagés ou les cheminements cyclables que l'on met sur les trottoirs appartiennent à cette logique. Et ils ne fonctionnent pas. On prend de l'espace aux piétons et pas à la voiture. On ne traite pas le problème du partage de la voirie qui, seul, permet une diminution de la vitesse des automobiles et donc une augmentation de la sécurité.

Aujourd'hui, on considère qu'il faut du mélange. Dans les schémas d'aménagement cyclable, on intègre ces notions de partage de l'espace. Cela nous conduit à proposer des aménagements qui auraient été considérés comme insensés il y a dix ans, comme les contresens cyclables ou le fait de mordre sur la voirie pour y mettre des bandes cyclables, juste délimitées par un marquage au sol. Ainsi, chaque mode se voit et se contrôle. Une commune qui veut démarrer un réseau cyclable doit hiérarchiser les aménagements. Commencer par ceux qui reflètent cette philosophie du partage de l'espace, et sur lesquels les gains de sécurité sont les plus forts, comme les contresens ou les bandes cyclables, et finir par les gains les plus singuliers, comme les toume-à-droite (des chicanes qui permettent aux cyclistes tournant à droite de monter sur le trottoir avant le feu pour éviter d'avoir à s'arrêter au rouge, ndlr ). Le stationnement des vélos est aussi un point important.

Comment les ingénieurs et les techniciens sont-ils informés des innovations des autres communes ?
Au début des années 90, le Club des villes cyclables et le Certu (Centre d'étude sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques, ndIr) ont mis au point les premiers documents techniques. L'Ecole nationale des Ponts et Chaussées propose des stages. Mais le maillon manquant est la diffusion de cette culture technique. Il faut bien comprendre que la culture technique vélo existe peu chez les ingénieurs et les techniciens. A un moment, on a dit: "Elle a disparu", mais je ne sais pas si elle a existé. Aujourd'hui, la culture technique voiture est omniprésente. Quand un projeteur dessine un plan de lotissement, il commence par se demander où les voitures vont passer et se garer, puis il construit le lotissement autour. Le cheminement des voitures est implicite dans l' ensemble des démarches. Mais cette approche n'existe pas pour les autres modes de déplacement. Même pas pour les piétons. J'ai eu l’occasion de me rendre compte qu'un certain nombre d'aménagements vélo étaient mal connus des usagers, y compris des auto-écoles. Les sas en amont des feux qui permettent aux vélos de s'arrêter devant les voitures, par exemple. Ou l'interdiction faite aux cyclomoteurs d'emprunter les bandes cyclables.

Recueilli par CATHERINE COROLLER


Des pistes à contresens, une idée de bon sens

En France, seul Strasbourg a mis cette initiative en pratique.

C'est un aménagement cyclable généralisable, à toutes les rues en sens unique. Et qui pousse inconsciemment les automobilistes à ralentir. Pourtant, les contre-sens cyclables demeurent l'exception en France. Sans doute parce qu'ils sont mal connus des élus et des techniciens locaux. "La Communauté urbaine de Strasbourg est la seule agglomération à avoir banalisé les contresens cyclables sur son territoire", observe la Fubicy (Fédération française des usagers de la bicyclette).

Un contresens cyclable, au sens réglementaire, c'est une rue jadis à sens unique, dont une voie est désormais réservée aux vélos, mais dans le sens inverse de la circulation générale. Une "voirie à double sens, mais dont un sens n'est utilisable que par les cyclistes", précise le Certu (Centre d'étude sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques).

Pour les amateurs de vélo, ces contresens représentent un gain de temps. Respecter les sens uniques les oblige à faire des détours non-négligeables par des voies très fréquentées, les exposant à des risques accrus d' accidents. En Allemagne, en Autriche, au Danemark ou aux Pays-bas, ces aménagements sont courants. A Strasbourg, le premier contresens cyclable date de 1982. Depuis, 192 ont suivi. Ailleurs, en France, c' est le désert. "Toutes les autres villes en ont, au mieux, une quinzaine (Grenoble, Nantes, Rennes), parfois quelques-uns (Lille, Paris. ., ), et le plus souvent aucun", regrette la Fubicy :

A cela, deux raisons. D'une part, le fait que certains élus et techniciens ignorent !'existence même de cet aménagement. L’autre raison tient au manque de données disponibles sur l’accidentologie. Or, les contresens cyclables sont réputés dangereux. Pourtant, d’après les militants de la Fubicy, cette crainte est infondée. Serge Asencio, animateur de l'association cycliste strasbourgeoise Cadr 67, a présenté les résultats de 1ière étude française sur les accidents de vélo dans une rue à sens unique avec contresens cyclable, à Strasbourg. Résultat : "Nous en avons trouvé 9 depuis 1987", sachant que 160 cyclistes ont été victimes d’un accident à Strasbourg rien que pour l’année 2000. Par ailleurs, aucun de ces accidents n'a résulté d'un choc frontal, le vélo n'ayant pas percuté le véhicule venant en face.

C.C.