Avec la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains),
les administrés devraient pouvoir s'exprimer tout au long
de la procédure d'élaboration et de révision
des Schémas de cohérence territoriale (Scot) et des
Plans Locaux d'Urbanisme (PLU).
Jusqu'alors, l'attitude de la population restait le plus souvent
passive face à la réglementation de l'urbanisme, et
la procédure d'enquête publique a montré ses
limites (trop ponctuelle, trop brève, son efficacité
est au surplus remise en cause par l'existence de l'étape
du plan "rendu public" et opposable aux tiers, alors même
qu'aucune enquête publique n'a encore eu lieu).
L'ÉLARGISSEMENT DU CHAMP D'APPLICATION
Une volonté de transparence
Aux termes de l'ancienne rédaction de l'article L.300-2 CU,
"l'obligation d'organiser une concertation avec les habitants
et les associations locales ne s'imposait, à la collectivité,
qu'avant: toute modification ou révision du POS ouvrant à
l'urbanisation tout ou partie d'une zone d'urbanisation future;
toute création d'une zone d'aménagement concerté
(ZAC) à son initiative et en cas de réalisation d'une
opération d'aménagement réalisée par
la commune ou pour son compte lorsque, par son importance ou sa
nature, cette opération modifie de façon substantielle
le cadre de vie ou l'activité économique de la commune".
Le juge administratif avait tendance à1 interpréter
littéralement cet article. Il a pu juger, par exemple, que
n'étaient pas soumises à concertation, l'application
anticipée d'un POS (Conseil d'Etat, 10 novembre 1993: G JE
Le Marmont) ou la réalisation d'un ouvrage routier dans la
partie non urbanisée de la ville (Conseil d'Etat, 17 juin
1998: Bracqbien, Rec. Conseil d'Etat p. 235).
La loi SRU a modifié la rédaction du a) de l'article
L 300-2 et désormais, une concertation devra être organisée
avant "toute élaboration ou révision d'un Scot
ou d'un PLU ".
Une plus large consultation
Ainsi, alors qu'avant la loi S R U , la population n'était
consultée qu'une seule fois, lors de l'enquête publique,
elle sera désormais entendue tout au long de la procédure
d'élaboration et de révision des PLU (et des Scot)
et notamment, dès le début de la procédure
(la phase de l'enquête publique subsistant par ailleurs).
Ces dispositions s'inscrivent dans un mouvement général
de démocratisation des procédures dans le sens d'une
plus grande participation des citoyens. Ainsi en est-il du projet
de loi relatif à la démocratie de proximité,
lequel doit élargir de manière significative, la saisine
et la compétence de la Commission nationale du débat
public, qui deviendra autorité administrative indépendante.
Notamment, les projets permettant la saisine de la commission pourront
être des projets d'aménagement ou d'équipement
sans forcément revêtir un caractère d'intérêt
national.
Les dispositions des lois SRU et Démocratie de proximité
pourraient ainsi utilement se compléter dans le sens d'une
large consultation de la population lors de la mise en place des
projets d'aménagement du territoire. Néanmoins, ce
premier point, incontestablement positif, doit être nuancé
car, pas plus que dans l'ancien régime, la loi SRU ne pose
de règles pour l'orga-nisation de la concertation.
LES LIMITES DE LA CONCERTATION " NOUVELLE VERSION "
La loi SRU étend le champ d'application de la concertation,
mais elle n'en précise toujours pas clairement les modalités
d'organisation. La tentation restera donc grande, pour les collectivités,
de n'organiser qu'une consultation minimum de la population, surtout
que la jurisprudence en la matière est plutôt tolérante.
Ainsi, a été jugée suffisante, s'agissant d'une
modification de POS, la concertation qui a consisté à
"mettre le projet à disposition du public quelques jours
avant l'approbation du projet et pour une durée de 15 jours
seulement, le projet étant par ailleurs publié dans
deux journaux locaux" (Conseil d'Etat, 28 septembre 1998: commune
de Pont-Sainte-Marie). De même, la concertation relative à
la ZAC Dupleix à Paris a été jugée suffisante,
alors qu'elle n'a consisté qu'en deux réunions à
six mois d'intervalle (Conseil d'Etat, 10 décembre 1993:
Association pour l'aménagement de la ZAC Dupleix, p. 360).
Pourtant, ces modalités d'organisation ne paraissent pas
permettre une parfaite information de la population.
Actuellement, aucune disposition textuelle ne précise le
contenu minimal à donner à cette concertation.
Tout dépendra donc de la bonne volonté des collectivités
locales à mettre en place une véritable politique
concertée de l'aménagement du territoire. Il conviendra,
par exemple, de s'interroger sur le sort de la concertation lorsqu'il
s'agira de faire passer une révision de PLU voulue par les
élus mais promise à l'opposition de la population
(installation d'une déchetterie...).
La mise en place d'un arsenal juridique ne suffit pas à attirer
la population. Encore faut-il que cette dernière soit intéressée
à la matière pour avoir envie de se prononcer. Si
la concertation se borne à la mise à disposition du
public, pendant quinze jours, d'un ensemble de documents peu compréhensibles,
l'effet "transparence démocratique" risque de ne
relever que du vu pieux et cela, indépendamment du
fait que cette concertation pourrait être, par ailleurs, tout
à fait légale.
La concertation ne remplira son rôle d'outil de participation
des administrés à l'élaboration des documents
d'urbanisme (et donc, à l'aménagement du territoire
de leur commune) que si les collectivités organisatrices
se donnent les moyens d'intéresser leurs concitoyens, de
leur faire prendre conscience de l'intérêt de cette
démarche. Le succès et l'efficacité de la concertation
dépendront du désir véritable des collectivités
de faire participer la population.
|
|
|
Toutefois, celle-ci dispose d'une arme de taille: la saisine du
juge administratif; à chaque fois qu'elle estimera avoir
été insuffisamment consultée. L'obligation
légale issue de la loi SRU d'organiser une concertation tout
au long de la procédure d'élaboration et de révision
des documents d'urbanisme, va lui donner de nombreuses opportunités.
En réalité, c'est un choix politique, stratégique,
que devra prendre la collectivité: associer la population
et lui permettre de suivre de près la procédure ou
essayer de faire passer discrètement un projet.
UNE ARME À DOUBLE TRANCHANT
La nouvelle concertation sous l'empire de la loi S R U peut se révéler
une arme à double tranchant pour les collectivités.
En effet, si cette démarche peut désamorcer le risque
contentieux en amont de la procédure, elle va également
avoir pour conséquences d'informer complètement la
population en la "mêlant" à l'élaboration
du projet urbain.
Risques de contentieux
Quel est, en pratique, l'intérêt d'une concertation
bien menée?
Il réside principalement dans la possibilité de désamorcer
les conflits en amont de la procédure et de limiter ainsi
les risques de recours à l'encontre du document d'urbanisme
final. Il s'agit, en fait, d'une sorte de marché : la municipalité
s'engage à prendre en compte l'avis de ses concitoyens et
à les faire participer à l'élaboration du projet
urbain mais, en contrepartie, la population s'engage, elle, à
ne pas demander l'annulation du projet établi en commun.
L'administration ne doit pas oublier, lorsqu'elle ne désire
mettre en place qu'une concertation minimum pour des raisons de
convenances personnelles (souvent politiques), qu'une concertation
jugée insuffisante par la population risque d'engendrer des
contentieux, et cela même si cette consultation est, d'un
point de vue purement juridique, légale. Par exemple, on
peut s'interroger sur le point de savoir dans quelle mesure un administré
ou une association ne pourrait pas demander l'annulation de la délibération
prescrivant l'élaboration ou la révision d'un document
d'urbanisme parce qu'il (ou elle) aura estimé que les modalités
de concertation prévues sont insuffisantes. En effet, la
loi SRU fait obligation de mentionner les modalités de la
concertation dans cette délibération. En tout état
de cause, la multiplication des contentieux ne pourra que fragiliser
et retarder les procédures. Dans cette optique, la collectivité
a intérêt à veiller à ce que les modalités
déterminées pour la concertation soient en mesure
de satisfaire la population en lui permettant réellement
de se faire entendre.
Une concertation a minima
Ainsi qu'il a été précédemment observé,
la population avait tendance à délaisser les réunions
organisées lors de l'enquête publique dans la mesure
où elle ne se sentait souvent pas concernée. Ce désintérêt
avait au moins l'avantage, dans certains cas, de permettre aux collectivités
de faire passer des projets un peu sensibles sans trop de réactions.
Il est certain qu'une concertation élargie peut amener un
plus grand nombre de personnes à s'intéresser au projet
urbain, à vouloir s'exprimer, et ces personnes, qui ont été
sollicitées pour donner un avis, seront certainement plus
vigilantes quant aux orientations finalement adoptées par
la collectivité, notamment s'agissant de la prise en compte
effective de leurs observations. Or, cette volonté de "ne
rien laisser passer" risque, en pratique, de se traduire par
un nombre croissant de recours engagés à l'encontre
des documents d'urbanisme et de la sorte, aboutir à l'effet
inverse de celui recherché par la loi SRU.
La " juste " concertation
La "juste" concertation (ni trop lourde pour les collectivités,
ni trop faible pour la population) devrait être parfaitement
proportionnée à l'ampleur du projet soumis.
Ainsi, il a été jugé qu'une concertation d'un
mois est suffisante dans le cas d'une DUP pour une route située
dans un secteur urbanisé (CE, 3o septembre 1996 : Société
de protection de la nature Sète-Frontignan, Balaruc p. 512).
En revanche, une concertation de douze jours avec un registre en
mairie et une réunion est insuffisante, s'agissant d'un grand
projet de revitalisation de la station de Trebeurden (TA, Rennes,
29 avril 1993, consorts Tabures, GP, 17-18 juin 1994).
En outre, l'administration ne pourra se permettre d'approuver un
projet trop différent de celui soumis à la population
lors de la concertation. Dans le cas contraire, ainsi que le rappelle
le Conseil d'Etat (copropriété Le Melchior, [8 mars
1994), une nouvelle concertation devra être menée (ou
au moins, un complément de concertation) et un nouveau bilan
devra être tiré.
CATHERINE HO.THANH, AVOCAT,
CABINET DE CASTELNAU . |
|